Un sauveur![FE Philip Monagan]

La première chose que Philip fit en se levant ce matin-là fut de se regarder dans un miroir avec anxiété. L’infirmière l’avait prévenu : la nuit ne serait pas facile, et elle ne s’était pas trompée. Non pas que faire repousser des cheveux était douloureux, mais cela provoquait des démangeaisons désagréables et empêchait de trouver le sommeil correctement.

En voyant son reflet dans le miroir, Philip esquissa toutefois un sourire : la potion que l’infirmière lui avait fait avaler s’était révélée efficace. Une nouvelle touffe de cheveux noirs et brillants se hérissait joyeusement sur sa tête. Ils étaient beaucoup plus courts qu’avant, mais au moins, ils avaient perdu leur couleur rose et vert.

Philip se fit une ou deux grimaces et son sourire s’élargit. Arpenter les couloirs de l’école ou se rendre en cours avec le crâne dégarni lui avaient donné des cauchemars (déjà qu’il n’avait pas beaucoup dormi !). Sa nouvelle coupe lui conférait, de surcroît, un air quelque peu voyou qu’il ne se connaissait pas.

Sa joie fut de courte durée néanmoins. Il venait de se souvenir de la façon dont il avait perdu ses cheveux, et surtout de la personne en face de qui il les avait perdus.

Lily Potter… Elle avait dû le prendre pour un demeuré de haute compétition. Pour la première fois de sa vie, elle avait pris conscience de son existence. Mieux que ça : elle lui avait parlé, l’avait touché de la main, et avait même ri. Tomber devant elle, lui faire mal, s’enfuir sans un regard en arrière, voilà comment résumer ce qu’il avait été seulement capable de faire.

Si ça n’avait été que ça… Mais le pire résidait sans doute dans le livre. L’Elu. Dans sa course pour échapper à Lily se moquant de ses cheveux qui tombaient, il avait glissé de ses bras sans que Philip ne s’en rende compte. L’avait-elle ramassé ? L’avait-elle lu ? S’était-elle faite une mauvaise idée de lui ? Probablement. A sa place, il aurait pensé qu’il avait eu affaire au dernier des crétins. Elle devait en avoir soupé de la célébrité. A présent, elle le considérait sûrement comme un de ces fanatiques qui ne l’admirent que pour l’histoire de sa famille et de son père en particulier.

Abattu, Philip cessa de se regarder dans le miroir. Il s’habilla, se lava, prit ses affaires de cours et, un maigre espoir en tête, se dirigea vers le couloir où il avait croisé Lily. Mais la déception lui laissa un goût amer lorsqu’il arriva à l’endroit où il était tombé et où elle lui avait parlé : le livre n’était plus là. Lily l’avait probablement ramassé.

La matinée passa lentement. A moitié endormi à cause du manque de sommeil, Philip se montra inattentif. Son esprit n’arrêtait pas de faire éclater des bulles sonores sous son crâne : le rire de Lily Potter, le cri de douleur de Lily Potter, la douce voix de Lily Potter…

Peu après que midi ait sonné, n’ayant absolument pas faim, Philip décida de s’aérer en allant faire un tour solitaire au parc, un de plus. Alors qu’il arrivait presque aux grandes portes, des cris l’interpellèrent. Un Serpentard et sa bande d’amis étaient en train d’embêter une jeune élève. Par habitude, Philip faillit détourner la tête (ce n’était guère son problème et les Serpentard étaient bien trop nombreux pour qu’il puisse oser s’interposer ; il laissait faire ce boulot aux professeurs et aux préfets) ; mais en voyant la chevelure et les yeux qui lui étaient familiers tant il les avaient regardé ces dernières années, il se figea.

Tout se passa alors très vite. Philip vit quelqu’un s’avancer vers les Serpentard et se dresser courageusement (mais stupidement, car il n’avait de toute évidence aucune chance) entre eux et Lily Potter. Puis il se rendit compte qu’il s’agissait de lui-même, et qu’il se trouvait face aux Serpentard.

Etait-ce l’adrénaline provoquée par la peur, ou bien la rage qui fulminait dans ses veines, ou bien le stress de se trouver si près d’elle,ou bien encore son entraînement acharné à réaliser toute sorte de sortilèges, il n’en savait rien, mais le sort de désarmement qu’il lança en informulé fut si puissant qu’il fit voler deux des baguettes des Serpentard.

Alors que ceux restés en retrait s’apprêtaient à réagir, un professeur passa au même moment près d’eux et cria :
- Hé là ! Que se passe-t-il ?
- C’est celui-là ! lança le plus grand Serpentard, celui qui ennuyait Lily Potter. Il nous a lancé un sort !
- Est-ce vrai ? demanda le professeur en tournant un regard noir vers Philip.
- Oui, professeur, acquiesça ce dernier.

Il ne se justifia pas. Il était prêt à payer le prix de sa conduite.

- Une heure de retenue, dans la salle des potions, jeune homme, ce soir, huit heures ! Vous récurerez les fonds de chaudron. Quant à vous autres, ajouta le professeur en se tournant vers les Serpentard, je suppose qu’il n’a pas lancé de sort sans raison. Déguerpissez vite, allons, allons !

Les Serpentard s’en allèrent en jetant des regards assassins à Philip, qui ne cilla pas, et le professeur s’éclipsa lui aussi après lui avoir répété « huit heures, en potions ». Le cœur encore battant, Philip se pencha pour ramasser un livre que Lily avait fait tomber dans l’affrontement. Il s’aperçut qu’il s’agissait de L’Elu. N’osant toujours pas se tourner pour ne pas lui faire face, il rangea le livre dans son sac en prenant tout son temps, espérant que Lily Potter serait partie quand il aurait fini pour ne pas voir son visage et ses oreilles en feu.

- Attends !
Le mot claqua comme un fouet dans son esprit. Son cerveau commanda à ses pieds de continuer, mais il ne se produisit rien. Le contact de la main de Lily Potter sur son épaule semblait avoir le pouvoir de le retenir. N’eût-elle poser qu’un seul doigt, il se serait plié à ses inflexions.

Elle se plaça face à lui. Il vit son expression mi-étonnée, mi-déçue, lorsqu’elle le reconnut. Ses yeux d’un bleu profond (cette fois, l’éclairage était parfait) l’observèrent. Il avait oublié combien ils étaient beaux, brillants. Intérieurement, il aurait voulu continuer, s’enfuir encore une fois, pour échapper à leur éclat aveuglant. Indigne… Il était indigne de Lily Potter, du temps précieux qu’elle lui accordait. Mais ses yeux, plus encore que sa main, l’obligeaient à rester, l’empêchaient de se détacher de leur étreinte invisible.

Elle parla, et il l’écouta plus attentivement que tous les cours de la matinée, plus attentivement que jamais peut-être. Le plafond aurait pu s’écrouler, il aurait continué de l’écouter parler.
- Je... Merci ! J'irai voir le professeur qui t'a mis les heures de colle pour lui expliquer que tu ne faisais que me « sauver ».

Il hocha la tête, incapable de prononcer un mot. Etait-il en train de rêver, ou Lily Potter le remerciait ? Le monde existait-il vraiment, ne se trouvait-il pas encore dans la dimension des fantasmes où il allait si souvent ?

Elle changea de ton. Il se souvint qu’elle l’avait déjà fait lors de leur dernière conversation (si l’on pouvait appeler ça une conversation). C’était comme un changement d’accords dans la musique de sa voix, un bémolisé sublime. Comment faisait-elle pour prendre cet air si léger, ces accents si aériens ? Il ne se souvenait pas que Ginny Weasley Potter était Vélane…

- Tu as enlevé tes mèches ? Pourquoi ?
- Euh… Elles juraient avec mon teint mat, répondit-il (il s’étonna de trouver les mots si facilement).
- Pourquoi tu t'es interposé ? Je veux dire, tu aurais pu rester dans ton coin comme les autres !
- Oh… Euh… Mon côté chevalier, probablement.
- Et pourquoi tu es parti hier en courant ? En me laissant en plan...
- Je suis désolé, je…
- Ce n'est pas que tu n'avais pas la droit, non non non ! C'est juste que je me suis demandé ce qui avait bien pu te faire partir !

Un sourire monta aux lèvres de Philip sans qu’il puisse le retenir. Lily parlait vite, elle semblait nerveuse, et elle lui rappelait quelqu’un qu’il connaissait extrêmement bien : lui-même. Se pouvait-il qu’il la mette mal à l’aise ?
- Je…
- Oublie ce que je viens de dire ! s’empressa-t-elle d’ajouter, lui coupant une nouvelle fois la parole (mais il s’en moquait). Je dois t'importuner et tu dois sûrement avoir faim ou retrouver des amis à toi! Je... Je te laisse! Je vais essaye de rattraper le professeur.

Elle partit, et Philip faillit lui crier de revenir, car il avait l’impression que l’air ambiant partait avec elle et qu’il ne pouvait plus respirer. Il tendit la main vers elle… Peut-être que s’il trouvait les bons mots, la bonne intonation, il pourrait encore arranger les choses.

L’importuner ? Avoir faim ? Des amis ? Décidément, elle ignorait vraiment tout de lui. Il allait lui expliquer, lui montrer combien il n’était pas celui qu’elle pensait… Mais au fond, serait-ce une bonne chose ? Tout ce qu’il ferait, ce serait lui dresser le triste portrait de Philip Monaghan : solitaire, névrosé, ironique, sans vie sociale. Qu’est-ce que Lily Potter, dont la vie devait être à l’opposé complet de la sienne, pourrait-elle faire avec un garçon comme lui ?

Au dernier instant, il se ravisa et baissa la main. A ce moment, elle se tourna une nouvelle fois vers lui (avait-elle vu son geste désespéré ?), et lui demanda le nom du professeur. Machinalement, il lui répondit. A sa grande stupéfaction, elle revint vers lui, une main dans les cheveux. Il songea qu’on devrait interdire les gens d’être aussi beaux que Lily Potter.

Bizarrement, les mots consentirent à revenir dans sa bouche :
- Ecoute, Lily, euh… Ca n’a pas d’importance, j’aime bien… J’aime bien récurer les fonds de chaudron, je t’assure (Oh mon Dieu, mais qu’est-ce qu’il était en train de dire ?). En attendant, pour… pour me faire pardonner pour l’autre soir, je… Que dirais-tu de manger avec moi ? (Non… Il n’avait pas osé !) Je t’offrirais bien un verre, mais tout est gratuit ici, de toute façon (décidément, c’était de pire en pire), et ils n’ont que du jus de citrouille, alors on… on n’a qu’à se contenter de partager la même table. Enfin, peut-être que toi aussi, tu souhaites manger avec tes amies, Zoey Londubat, tout ça, je comprendrais…

Il baissa les yeux, absolument incapable de regarder Lily réfléchir à sa proposition lamentable. Si la décence le lui avait permis, il se serait bouché les oreilles pour ne pas entendre le « non » qu’elle ne manquerait pas de prononcer d’une seconde à l’autre.

Deux jours auparavant, Philip aurait donné une jambe (voire les deux) pour pouvoir manger en tête à tête avec Lily Potter. Et si deux jours auparavant, on lui avait dit que son vœu serait exaucé, il aurait éclaté de rire tant l’éventualité lui paraissait aussi risible qu’improbable.

Entendre Lily accepter sa proposition ne provoqua cependant rien en lui. Elle avait dit oui ? Certes, elle avait hésité, elle avait dit qu’elle comptait manger seule à la base, elle se sentait sans doute obligée d’accepter sa requête après ce qu’il venait d’accomplir pour elle. Pitié et gratitude forcée constituaient certainement les seuls motifs de ce « oui » incroyable. Mais il ne ressentit rien. Il n'y croyait pas, il était en train de rêver, forcément.

- On y va ?

Pendant deux secondes qui durèrent une éternité, Philip dévisagea Lily, comme si elle pouvait disparaître d’une seconde à l’autre, comme s’il ne s’agissait que d’un mirage qui n’avait duré que trop longtemps déjà et qui s’évaporerait au meilleur moment. Mais elle ne s’évanouit pas dans la nature, elle demeura face à lui, consistante, tangible, délicieusement réelle.

- Oui. Moi aussi, j’en ai un peu soupé de mon entourage, trop d’amis, il faut que je respire un peu, inventa-t-il avec une aisance qui le surprit. Ici ? dit-il en désignant un pan de table libre.

Il tira la chaise pour que Lily puisse s’asseoir. A cet instant, il entendit quelqu’un crier dans son dos :
- Alors, Monaghan, tu flirtes ? Dis-moi, tu les prends au berceau, maintenant !
Philip sentit ses oreilles s’enflammer tandis que des éclats de rire gras retentissaient. Lily ne connaissait pas son nom, il y avait encore une chance pour qu’elle ne comprenne pas que Monaghan, c’était lui…

Il s’empressa de s’installer en face d’elle et pour qu’elle ne fasse pas attention aux quolibets, il lui cria presque :
- Je m’appelle Philip. Voilà, si je m’enfuis en courant, tu sauras au moins comment je m’appelle.

Avec trop d’insistance, il la fixa du regard pour qu’elle ne se retourne pas, comme pour la forcer à ne faire attention qu’à lui et pas au monde atroce qui gravitait autour d’eux. Il en eut des picotements dans les yeux et ne vit pas son assiette et son verre se remplir.

- Je suis à Serdaigle, en septième année. Il… Il fait un super temps aujourd’hui. Alors, Zoey est occupée, hein ? Au fait, c’était qui ces Serpentard ?
Se rendant compte qu’il parlait trop vite, il se dodelina sur son siège et toussota nerveusement pour se donner consistance.

Maintenant qu’il était assis, Philip avait eu le temps de réaliser ce qui se produisait sous ses yeux, et les griffes de la réalité ne s’étaient jamais autant resserrées autour de son cerveau, lui comprimant ses pensées et l’empêchant de réfléchir correctement. Il n’arrivait pas à trouver de posture confortable et se demandait sans cesse s’il se tenait bien. Que fabriquait sa main ici ? Pourquoi la viande était-elle si longue à mâcher ? Même respirer ne relevait plus de l’inconscient : il fallait qu’il se force à inspirer et expirer l’air de ses poumons.

Lily répondait à ses questions. Le fond était si creux et si dérisoire face à la mélodie de sa voix qu’il se contentait presque de n’en écouter que la musique, peu importait le sens des mots. Les mains de Lily découpant sa viande étaient souples, légères, et l’hypnotisaient littéralement. On aurait dit deux colombes accrochées au bout de ses bras. Même lorsqu’elle mangeait, elle était resplendissante.

- …sûr que tu ne veux pas que j'aille voir le professeur ?
- Hein ? Oui, bien sûr.
Elle fronça les sourcils (quelle était sa question, au juste ? il n’en avait pas compris le moindre mot), puis se remit à manger. Il y eut un silence indéfini, un blanc lourd, pesant, gêné. Si Philip levait son couteau en l’air, il ne s’étonnerait pas de pouvoir couper l’atmosphère de tension qui régnait autour d’eux.

Il ne voyait pas comment briser le silence et choisit de se taire. De toute façon, les griffes sur son cerveau continuaient d’exercer leur pression et empêchaient toute idée de conversation décente de germer. Les mains de Lily poursuivaient leur ballet aérien autour de l’assiette, voletaient parfois vers la cascade de ses cheveux pour en relever une mèche.

- Le livre, il était bien ?

Le livre… Evidemment, le sujet devait arriver. Philip perçut comme un grincement agacé dans la voix de Lily (à moins que le fait de trouver le sujet épineux lui fasse croire qu’il y avait un grincement). Avec difficulté, son cerveau se remit à fonctionner, lentement, pour trouver une réponse adéquate. Comme il était extrêmement difficile d’inventer un mensonge dans un moment de stress, ce ne fut que la vérité qui sortit des lèvres de Philip :

- Non. Comme je te l’ai dit, il n’était pas très intéressant. Il ne s’agissait que d’énièmes témoignages aux sources douteuses concernant Harry P… Enfin, ton père. Je dis sources douteuses parce qu’il y avait des rapports de Rita Skeeter, qui est à mon avis aussi douée pour raconter la vérité qu’un troll pour résoudre une équation mathématique. Ce qui m’énerve le plus dans ce genre de livres, c’est qu’ils sont tous centrés sur Har… sur ton père. A peine un mot sur sa femme, et pratiquement rien sur ses enfants. C’est comme si vous ne comptiez pas pour les gens, alors que ça peut en intéresser certains, comme m…

Il se retint au dernier moment de dire « comme moi ». Presque terrifié à l’idée que Lily se doute qu’il cherchait en réalité à en savoir plus sur elle et non sur son père et qu’elle le prenne pour une sorte de garçon à l’esprit perverti, il entreprit de faire des petits carrés avec sa viande et de trier minutieusement ses grains de riz et de haricots.

- Tu... Ce n'était pas intéressant ? Vraiment ? Tu aurais préféré quoi ?
Avec un souci chirurgical, Philip avait terminé de découper (émietter serait plus correct) sa viande et s’attaquait aux haricots, qu’il entreprit de partager aussi en plusieurs morceaux. Il préférait ne pas regarder Lily et se concentrer sur sa boucherie culinaire tandis qu’il réfléchissait. Clairement, il sentait que Lily avait apprécié sa réponse, et qu’elle en attendait une autre, au moins tout aussi bonne.

- Et bien… (il planta sa fourchette dans un nouveau haricot) Moins de Rita Skeeter (il le découpa en deux), moins de Harry Potter aussi (il le découpa en quatre), et euh… (il l’écrasa pour en faire une bouillie avec le plat de son couteau) plus de Lily Potter n’aurait pas fait de mal, hein ?
Il eut un petit rire. Lily parut satisfaite. Etait-ce son imagination ou bien la bulle de tension qu’il avait senti un instant auparavant s’était dissipée ? Lily ne rayonnait-elle pas (si c’était possible !) un peu plus depuis quelques secondes ? Et lui-même ne se sentait-il bizarrement pas plus à l’aise, tout à coup ?

L’appétit lui revint et il s’apprêta à prendre une première bouchée de sa viande minutieusement hachée et de sa bouillie de haricots au riz lorsque le plat disparut pour laisser place au dessert…

- Je ne comprends pas l'admiration que les gens vouent à mon père, reprit Lily sans remarquer qu’il n’avait apparemment rien mangé, et il l’écouta en levant les yeux vers elle. Il n'est pas si extraordinaire. Il ne fait même pas attention à moi de toute façon, c'est comme si je n'existais pas. Il est obnubilé par son travail et en oublie presque qu'il a une fam...
Non… Non… Pourquoi s’arrêtait-elle ? Quelqu’un avait-il ralenti le temps ? Son cerveau avait-il fini par se détraquer complètement à force de rester avec Lily Potter ?

Dans une posture figée, Lily cessa de manger l’orange qu’elle avait pelée, l’air agacé, comme si elle regrettait ses paroles. Philip ne put s’empêcher de croire qu’elle venait de se rendre compte de la personne avec qui elle mangeait et à qui elle avait osé se confier : lui, l’inconnu ringard qu’elle venait à peine de rencontrer, qui lisait des livres sur son père, qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam. S’était-elle aperçu du miracle que constituait jusqu’à présent leur conversation ? Voulait-elle mettre fin à toute cette mascarade improbable, irréaliste ?

Les questions se bousculaient avec tant de force dans la tête de Philip qu’il ne s’aperçut pas du silence qui se prolongeait et qu’il aurait dû briser depuis longtemps pour rassurer Lily, pour changer éventuellement de sujet, pour lui sortir une plaisanterie excellente et qui la ferait rire aux éclats. Avec horreur, il la vit se lever brusquement et partir en trombe.

- Hé, attends !
Comme si une explosion venait de se produire dans la Grande Salle, il eut comme un soubresaut et dans un geste qui relevait du réflexe, il se leva lui aussi et ses jambes se mirent à poursuivre Lily dans le château, pour le mener jusqu’à la volière.

L’odeur des plumes, des cadavres de rongeurs et de déjections des volatiles l’accueillirent lorsqu’il pénétra dans la vaste pièce aux poutres multiples, où des hiboux et des chouettes se reposaient paresseusement. Il trouva Lily, dos à lui, la tête enfouie dans ses mains. En l’entendant arriver derrière elle, elle se retourna et cria :
- Tu as fini, oui ? T'en n’as pas marre de me suivre ? Oh… (Elle le reconnut et baissa les yeux.) Je suis désolée Philip, je ne savais pas que c'était toi... Je ne me serrais pas énervée sinon.... Je suis vraiment désolée... Je ne fais que des gaffes aujourd'hui... Pardon...

Philip se demanda furieusement comment il faisait pour ne pas pleurer en voyant le plus triste spectacle de sa vie : Lily, les yeux embués, une déchirant expression de désolation sur son visage.

Les griffes qui l’avaient provisoirement délivré se remirent à empoigner son cerveau avec plus de force que jamais. Il sut dès lors qu’il aurait mieux fait de partir et de laisser Lily plutôt que de se mettre à parler, mais ses lèvres remuèrent toutes seules :
Bon, ben... On peut dire qu’on est quittes, maintenant : c’est toi qui t’es enfuie en courant cette fois (il eut un petit rire nerveux). La prochaine fois, s’il y en a une, on essaiera de se contenter de se dire des choses pas trop compliquées, et de ne pas donner envie à l’autre de prendre ses jambes à son cou. J’ai… j’ai quand même été content de faire un peu plus connaissance et…

A ce moment, une fiente de hibou atterrit sur son épaule. Philip leva les yeux pour lancer un regard noir au hibou qui venait de faire ça et se promit de revenir plus tard pour lui jeter un sort. Quand il reporta son attention sur Lily, il vit qu’elle avait une main sur la bouche pour se retenir de rire (ou de pleurer devant tant de ridicule ?).

- Bah, dit Philip en haussant les épaules. Il paraît que ça porte chance.
D’un geste négligent de sa baguette, il nettoya son épaule. Puis il salua Lily d’un geste gauche de la main et voulut sortir avec classe, mais il se prit une poutre sur le coin de la figure. Avec un juron, il disparut dans les escaliers, en se demandant s'il reverrait jamais Lily tellement il avait été lamentable.

[Fin du RP]