Un livre pour deux [PV Olivia Hannigan]

- Locomotor livrus, murmura Philip en pointant sa baguette sur le gros grimoire posé en face de lui.

Rien ne se produisit. Sans perdre espoir, et en faisant attention à ce que personne ne l’observe de trop près, Philip fit un nouvel essai, en dessinant des ronds avec sa baguette cette fois :

- Locomotor livrus !

Le grimoire resta désespérément immobile. En revanche, les cheveux d’un garçon de première année qui se trouvait à une table voisine se dressèrent sur sa tête comme si un ouragan venait de s’abattre sur lui.

Philip se ratatina sur sa chaise et d’un air innocent, il fit semblant d’être absorbé par un parchemin particulièrement prenant (mais, comme il le remarqua une seconde après, le parchemin était entièrement vierge). L’élève de première année regarda autour de lui sans comprendre ce qui lui arrivait et tenta en vain de remettre ses cheveux en place. N’y parvenant pas, il quitta la bibliothèque en courant, la mine terrifiée, et Philip sentit un vague pincement de remord au cœur.

C’est tout de même extraordinaire, songea-t-il. Ca fait six ans qu’on nous apprend à jeter des sorts, mais pas une fois, on ne nous a expliqué comment en fabriquer un. Comment font les sorciers pour trouver la formule et la façon d’agiter la baguette ? Du hasard ? Une illumination divine ? Un don ?

Avec des yeux qui lançaient des éclairs, Philip scruta obstinément le grimoire, dans l’espoir que peut-être germerait dans son esprit la formule pour pouvoir le faire bouger, mais il ne réussit qu'à ressentir des picotements dans les yeux qui l'obligèrent à cligner des paupières. Bien évidemment, un Accio grimoire ou un Wingardium Leviosa provoquerait le mouvement du grimoire, mais pas de la façon que Philip voulait.

Passablement énervé, il se leva brusquement de sa chaise et se mit à arpenter les rayons de la bibliothèque, les yeux passant d’un livre à l’autre, à la recherche d’un titre parlant. La bibliothèque lui faisait rarement défaut : il y trouvait en général toutes les réponses à ses questions. Au pire, il irait voir son professeur de sortilèges et enchantements…

Il finit par trouver un livre, sur une étagère portant l’étiquette « Etymologie des sorts », qui lui paraissait intéressant.

Il leva le bras pour s’en emparer lorsqu’une main se posa sur le livre en même temps que la sienne.

Aujourd’hui, Philip n’avait pas encore eu l’occasion d’entendre quelque chose de particulièrement drôle. Il avait passé la journée enfermé dans la bibliothèque, à marmonner des formules au hasard pour faire bouger ce fichu grimoire sans y parvenir. Bien sûr, il y avait eu la bibliothécaire, qui en le voyant passer devant elle les bras chargés de livres cet après-midi, lui avait demandé s’il était sûr de n’en avoir oublié aucun (comme si lui, Philip Monaghan, solitaire involontaire et endurci, amoureux des bouquins, dont la seule amie était la bibliothèque, pouvait ne serait-ce qu’imaginer oublier la moindre feuille qui appartienne à ce lieu sacré). Un sourire ironique s’était dessiné sur le coin de ses lèvres, et il s’était dit qu’il s’agirait probablement des seules paroles du jour qui l’amuseraient.

Mais c’était avant d’entendre celles-ci : « Hum, on ne va pas le déchirer en deux… Tu peux me le passer, ça serait sympa. »

Philip eut un petit rire incrédule. Une lueur un peu démente dans le regard, il se tourna vers la jeune fille qui tenait le même livre que lui et qui paraissait décidée à ne pas le lâcher.

« Euh… Héhé, dis-moi… Tu sembles… comment dire ? Caresser naïvement l’illusion parfaitement improbable que je suis un garçon galant qui puisse… (il prit une inspiration) qui puisse te céder ce livre, qui, soit dit en passant, me revient de droit car je l’ai vu en premier. »

Il tira un peu plus le livre vers lui.

« J’ajouterai, sans vouloir t’offenser, naturellement, qu’il y a sans doute beaucoup trop de mots compliqués pour toi là-dedans. Je te conseille le livre d’à côté, « ABC des sortilèges pour troisième année », je suis certain qu’il te conviendra mieux. Sans rancune, hein ? »

Avec force, il tenta de nouveau d’arracher le livre des mains de l'importune.

Philip était stupéfait de n’avoir pas encore fait sauter les yeux des orbites de cette insolente. Pendant une fraction de seconde, il hésita presque à lui envoyer Etymologie des sorts dans la figure, avant de se souvenir qu’il s’était battu pour l’obtenir, et il se ravisa.

- Fumer des plumes d’hippogriffe ? (il mima quelqu’un qui souffre atrocement) Oh, aïe, arrête, ta rhétorique cinglante me transperce le cœur. Oui, je suis en septième année, et par respect pour tes aînés, tu aurais dû me laisser tout de suite le livre.

- Tu m’en vois navrée, ce n’est pas comme ça que tu vas te débarrasser de moi, répliqua-t-elle avec une horripilante détermination.

- Têtue, avec ça. C’est à Serpentard qu’ils auraient dû t’envoyer !

Philip ferma les yeux dans une profonde mimique de retenue, puis les rouvrit et dit plus calmement, comme s'il s'adressait à un enfant particulièrement turbulent et capricieux :

- Bon, écoute, voilà comment les choses se présentent. Nous voulons tous les deux ce livre. Sauf que je suis plus âgé et plus grand que toi, et probablement un poil plus intelligent, donc tu vas me le laisser. C’est bien, comme marché, ça, hein ?

A mesure qu’il parlait, il sentait son désir de lire le livre diminuer considérablement. L’occasion de passer ses nerfs sur la jeune fille avait pris le dessus. Il lui aurait certainement cédé le livre si elle n’avait pas cet air de chipie prête à tout collé au visage, mais c’était plus fort que lui. Il ne savait pas tellement pourquoi elle lui inspirait tant de colère. Peut-être parce qu’elle empiétait sur son territoire, qu’elle avait les mêmes goûts que lui, et qu’elle risquait – Philip tressaillit presque à cette idée – d’être effectivement plus intelligente qu’il ne voulait bien l’admettre…

Un tic agita la joue de Philip. Lui et la furie avec qui il se disputait le livre avaient, sans s’en rendre compte, haussé le ton, et plusieurs têtes s’étaient tournées vers eux, certaines affichant une curiosité intéressée, d’autres une franche désapprobation. S’il y avait bien une chose que Philip détestait, en dehors des filles insolentes qui rôdaient dans sa bibliothèque pour s’emparer des mêmes bouquins que lui, c’était d’attirer l’attention. Les regards n’avaient jamais autant de poids que sur lui. C’était comme si chaque paire d’yeux avait le pouvoir de renforcer la gravité sous ses pieds.

« Tu me prends pour quoi ? Une limace sans cervelle? Espèce de troll, je respecte mes aînés, mais ceux qui me sous-estiment, ils n’ont pas l’honneur de me voir sur mon meilleur jour. Et ce n’est pas avec 2 ans de plus et quelques douzaines de centimètres de plus que l’on est forcement plus intelligent. La preuve, j’ai trouvé mon exemple, il est juste devant moi. Et d’ailleurs, si tu étais plus intelligent, tu l’aurais déjà parcouru ce livre. »

Philip entendit un rire quelque part et son malaise augmenta. L’humiliation en public, les moqueries, les regards à la fois amusés et condescendants qu’on lui jetait, la honte, l’envie de disparaître… Il ne voulait plus revivre ça. Il se l’était promis : dernière année à Poudlard, il devait faire des efforts.

Prenant une inspiration pour se calmer, il approcha son visage de la jeune fille. Elle avait un regard de braise et il eut presque peur de s’y brûler. De toute évidence, elle était sur le point d’exploser, et bien qu’il fût plus grand qu’elle, la perspective qu’elle lui enfonce ses ongles dans la peau ou qu’elle se mette à le frapper n’était pas pour le rassurer. Si elle se jetait sur lui, il ne ferait aucun doute qu’elle prendrait le dessus, son aversion pour le combat physique l’empêcherait de riposter dignement.

Il parla le plus bas possible, pour ne pas être entendu des autres élèves :

« OK. D'abord, on ne dit pas sur mon meilleur jour, mais sous mon meilleur jour. Ensuite, je ne critiquerai pas ta manière de manifester ton respect envers les gens en les traitant de troll, ni évoquerai mon point de vue sur les Serpentard, qui comme chacun sait, est la maison qui a accueilli le plus de mages noirs dans toute l’histoire de Poudlard. Et enfin, pour te montrer que je suis un vrai Serdaigle, je vais faire preuve de sagesse et te laisser le livre. Je pense qu’il te sera effectivement plus utile qu’à moi, étant donné que je suis plus intelligent. »

A cet instant, il aperçut la bibliothécaire qui surgissait à l’autre bout du rayon. Etait-ce parce qu’elle voulait y remettre des livres ou bien parce qu’elle avait entendu le boucan qu’ils faisaient ? Par précaution, il haussa raisonnablement le ton de la voix lorsqu’il s’adressa de nouveau à la Serdaigle, pas trop fort pour ne pas être puni, mais suffisamment pour que la bibliothécaire l’entende :

« Ne parle pas si fort, voyons ! On est dans une bibliothèque ! Maintenant que je t’ai aidée à trouver ton livre, je te laisse. Ne me remercie pas. »

La furie protesta peut-être, mais Philip avait déjà tourné les talons. Il ramassa ses affaires (il lui semblait vaguement qu’elle continuait de lui parler, à moins que ce ne fussent des échos dans sa tête, et il l’ignora). Avec le plus de dignité possible, il les rangea dans son sac et partit à grands pas vers la sortie. Il buta contre un sac et faillit s’étaler par terre mais se rattrapa de justesse. Il entendit encore d’autres rires, et, les joues en feu, il quitta la bibliothèque.



[A moins que Olivia ne décide de poursuivre Philip, tu peux conclure le RP, qui était très sympa ! ]