A travers toi

- Je vais mourir.
David regarda sa mère dans les yeux. Elle était pâle, les cheveux humides plaqués sur le front.
- Mourir ? répéta-t-il. Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Je vais dormir, répondit sa mère. Dormir très longtemps.
- C’est à cause de ta maladie ?
- Oui.
- Quand est-ce que tu vas guérir ?
Elle toussa.
- Je ne vais pas guérir, David.
- Quand est-ce que tu te réveilleras ?
- Jamais.
Elle toussa encore.
- Tu vas dormir toujours ?
- Oui.
- Si tu veux, je mettrai le réveil. Comme ça, tu l’entendras sonner et tu ne dormiras plus.
- Je ne me réveillerai pas, David. C’est comme ça. Quand quelqu’un meurt, il ne se réveille jamais.
David fronça les sourcils.
- Je n’ai pas envie que tu dormes toujours.
- David, écoute-moi. Souviens-toi ce que je t’ai toujours répété. Dans la vie…
Elle toussa à nouveau, si fort qu’elle dut s’arrêter de parler.
David acheva :
- Dans la vie, on ne fait pas toujours ce que l’on a envie.
- Oui, c’est ça, murmura sa mère quand la toux s’atténua.
- Mais je ne veux pas que tu meures. Ca me fait peur.
- Je sais. Moi aussi, j’ai peur.
- Tu es obligée de mourir ?
- Oui.
- Je veux mourir aussi, alors.
David vit un faible sourire éclairer le visage laiteux de sa mère.
- Tu es la seule personne que je connaisse, David. Tu es la seule personne qui se souviendra de moi. Si tu meurs, je ne vivrai même plus dans tes souvenirs. Tu comprends ? Si tu meurs, je n’existerai plus du tout.
David ne dit rien pendant un moment, pensif.
- Tu dois vivre, reprit sa mère. Dans tout ce que tu feras, il y aura une part de moi. Je t’ai élevé, je t’ai éduqué, je t’ai aimé. Quelque part, je vis en toi, et je vivrai dans ce que tes mains et tes mots construiront. Tu comprends ?
- Non.
- Tu comprendras. Je sais que… Je sais que tu es un garçon intelligent. Souviens-toi de tout ce que je viens de te dire. Souviens-toi de moi. Un jour, tu comprendras.
Elle toussa une dernière fois, avant de s’endormir. David pleura toute la nuit.

Le lendemain, à son grand soulagement, elle se réveilla. Mais elle était trop faible et trop malade pour pouvoir lui parler. Elle ne le reconnaissait même plus. Une fièvre virulente la faisait délirer. Elle toussait de plus en plus.

Le surlendemain, elle dormit toute la journée. David enclencha le réveil, posé sur la table de chevet, mais la sonnerie ne souleva aucunement les paupières closes de sa mère.
- Maman, tu es morte ? demanda-t-il le soir venu.
Le silence.
- Maman, j’ai mis le réveil. Quand le réveil sonne, tout le monde doit se lever. C’est toi qui me l’as dit.
Le silence.
- Allez, debout, Maman.
Le silence.
David la secoua doucement. Elle était froide. Elle ne respirait plus.
- Ca y est, tu es morte, alors, dit-il. Tu dors pour toujours.
Il posa sa tête contre celle de sa mère.
- Je ferme les yeux. Je pense à toi. Je pense très fort à toi.
Il rouvrit les yeux.
- Allez, Maman, je pense à toi. Je me souviens de toi. Tu ne dois plus dormir.
Mais sa mère ne se réveilla pas.